[TUTO] Restaurer une vieille dégauchisseuse raboteuse Laurent 510

Introduction

 L’avènement des machines

Fut un temps, les varlopes étaient appelées des galères dans les ateliers, un manche pour le menuisier qui donnait la mesure et de l’autre une cheville pour l’apprenti qui tirait. Si la planche à raboter était trop longue, on y fixait alors une corde. Dans un effort synchronisé, on décollait le copeau à la sueur de son front.

Début de l’ère industrielle mondiale, les cadences s’accélèrent tout en se passant de la ressource énergétique humaine, c’est l’avènement des machines :  par le biais d’un moteur à vapeur, une courroie entraine un rouleau à couteaux, un arbre à fer, etc. On doit l’invention des premières machines-outils aux ingénieurs de la fin du 18ᵉ, début 19ᵉ siècle avec des noms comme Nicolas Focq (Machine à raboter le métal), James Fox (Raboteuse bois) ou encore Samuel Bentham, Marc Isambart Brunel et Henry Maudslay.

On peut alors imaginer que les conditions de travail des ouvriers du bois furent améliorées. En tout cas la pénibilité physique grandement réduite. Mais peut-être aussi que les cadences avaient augmenté, et la main d’œuvre diminué. On s’imagine alors qu’en inventant ces drôles de bêtes d’acier, on allait donner vie à quelque chose qui nous dépassait.

Est-ce qu’un atelier sans machines, rempli de beaux outils simples et purs, n’est pas l’image romantique qui revient le plus souvent dans l’inconscient collectif lorsqu’on évoque le travail du bois ? Les machines nous soulagent de l’effort, mais nous dictent un geste et une cadence, un formatage de l’esprit et une mécanisation du corps, et puis elles se nourrissent de nos doigts. 

Malgré tout, nous vivons aujourd’hui avec elles dans tous nos ateliers, et pour les plus chanceux, elles ne donnent même pas d’ordre… alors profitons en.

 Pour revenir petit à petit au sujet, la dégauchisseuse et la raboteuse (dans notre cas c’est un combiné dégau rabo) sont des machines simple et géniale : on met un bout de bois gauche d’un côté et on en sort une planche toute droite de l’autre ! C’est pas beau ça ? Bon c’est un peu plus compliqué que ça mais on y reviendra dans un autre article. En tout cas, leur conception simple et robuste n’a que très peu évolué au fil du temps, preuve de leur ingéniosité. Elles sont toutes les deux composés d’un bâti, de tables, et d’un arbre porte fer. Il y a aussi les rouleaux entraineurs pour la rabo. Des améliorations ont vu le jour ces dernières années comme les arbres hélicoïdaux, la motorisation des tables, et d’autres agrégats très pratiques, mais la base de leur architecture est restée inchangée.

Le charme des anciennes

Eh oui certaines vieilles machines à bois ont cette réputation d’être increvables et d’offrir une sensation toute particulière à ceux qui les utilisent. Elles ont beau avoir plus de 50 ans, elles restent dans un état de fonctionnement irréprochable, à condition d’être graissées. Seules les pièces d’usures sont à changer : Courroie, chaîne, fers, graisse, roulements et … c’est tout. On aura aussi à coup sûr un peu de rouille sur les tables et le bâti, Il y a aussi toute une série d’éléments à vérifier évidement mais dans l’ensemble on s’en sort bien.

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Présentation de la dégauchisseuse raboteuse Laurent 510

Historique

Voici donc le combiné Dégauchisseuse Raboteuse Mortaiseuse Laurent 510 (pour la largeur des tables qui fait 510 mm).
Je l’ai acheté avec l’aide d’un ami qui connaissait une personne dont le père était ébéniste à Grenoble. Il me semble que ce monsieur l’a acheté neuve en 1960 et s’en est servi jusque dans les années 2010 ou il a pris sa retraite. Ayant remisé sa machine et ne s’en servant plus beaucoup lui et son fils décident de la vendre car elle prend beaucoup de place. C’est alors que j’entends parler de cette occasion par le bouche-à-oreille et décide de venir la voir puisqu’elle n’est qu’à 10 minutes en voiture de l’atelier. Je suis alors impressionné par ce monstre de fonte. Le bâti en forme de V est très caractéristique. Une véritable antiquité sortie d’une autre époque. Elle est pleine de poussière et sa peinture maculée de blanc vient ternir son charme naturel, mais son envergure nous rassure sur sa robustesse et sa longévité.

Après toutes les vérifications qui s’imposent : Contrôle du jeu radial des axes, planéité des tables, niveau de rouille, etc. je suis enthousiasmé par son état général : aucun jeu à aucun endroit, très peu de rouille, et cette sensation que cette machine est increvable ! Je demande un essai sur un plateau de chêne qui prend quasiment toute la largeur de la table, c’est-à-dire 500 mm. Après le démarrage étoile triangle typique des vieilles machines, le rouleau se met à tourner très lentement puis une bonne dizaine de secondes plus tard il se stabilise. Le son émis est plutôt fort. Je vois alors le vieil ébéniste se coucher littéralement sur la table pour pousser l’énorme plateau de chêne, avec le rouleau à quelques centimètres du buste, je m’en veux un peu et lui propose de l’aider, mais il refuse. Le plateau sort nickel. Un détail en revanche, le moteur n’est pas si puissant, il perd vite ses tours.

Je reviens donc une semaine après avec une grue d’atelier et un camion pour la charger avec l’aide d’un ami. Après une bonne heure de galère à la sortir par la porte fenêtre à 5 personnes, on parvient enfin à la mettre dans un camion et à la décharger dans l’atelier dans l’heure qui suit. Elle sera posée sur un châssis roulant pour pouvoir la déplacer facilement en attendant de trouver sa place définitive dans le prochain atelier. Encore merci à Michel et à son père.

Ainsi peut commencer la restauration !

Caractéristiques techniques

J’ai pu récolter quelques infos sur le net mais rien de bien précis, l’ancien proprio n’avait pas le manuel et sur internet je ne le trouve pas.

Il s’agit donc d’un combiné 3 opérations à savoir : dégauchisseuse, raboteuse et mortaiseuse en bout d’arbre. (un article est prévu pour sa restauration). (il existe aussi un agrégat de toupie mais je ne l’ai pas).

Longueur de table de dégau : 2 m | Largeur utile de table de dégau : 510 mm | Largeur utile de table de rabo : 500 mm | Hauteur de passe de rabo : 250 mm | Poids : 700 kg environ | Moteur (triphasé) : 5/7 CV  3000/6000 tr/min | Arbre : 3 fers

Les tables de la dégau coulissent et pivotent sur un axe incliné, ce qui permet d’accéder à la table de raboteuse mais aussi de monter et descendre les tables en vissant/dévissant une molette.

Restauration

Remise en état des tables

Je commence par m’occuper des tables, qui sont légèrement tachées de rouille. C’est une rouille de surface qui ne nécessite pas que je ponce au papier de verre, c’est à la brosse métallique que ça va se passer. Pour lubrifier et décoller la rouille pendant que je passe la brosse je verse un peu de pétrole désaromatisé sur la surface. C’est long, les gorges laissée par l’usinage empêchent les fils de la brosse de bien racler au fond. Je fais des longues passes jusqu’à que l’état de surface soit homogène. J’essuie bien la bouillasse laissée par le pétrole. L’avantage c’est qu’il laisse une fine pellicule grasse qui protègera nos tables. Le glisse-bois viendra faire le même effet plus tard. La table de la dégau est rayée à certains endroits, mais je ne pense pas que ça soit un problème.

Démontage des poulies, pignons et remplacement des courroies

Avec le temps les courroies s’usent naturellement, et peuvent se rallonger. Si elles ont absorbé du liquide elles peuvent tout aussi se ramollir et s’user prématurément, comme la courroie d’accessoire dans votre bagnole. Il est toujours bon de les changer, surtout si on veut donner un coup de neuf à la machine qu’on vient d’acheter d’occasion. C’est une opération peu couteuse et assez facile à réaliser. Ça m’a coûté moins de 50 euros.

On peut observer ici le mécanisme, il y a 3 courroies qui relient le moteur à l’arbre par le biais de poulies à multiple gorges. Une autre courroie relie la poulie de l’arbre à une plus grande poulie qui elle-même entraine une autre poulie plus petite qui sera elle-même reliée à une plus grande, etc. C’est le même principe qu’une boite de vitesse, on transforme la vitesse du moteur en couple dans un rapport de redduction. Donc on suit ce petit jeu de piste pour arriver jusqu’à la poulie du milieu droite, qui va venir entrainer la couronne du bas et ainsi la chaine qui elle transmettra le couple aux rouleaux entraineurs visibles de part et d’autre de l’arbre.

First step : On sort toutes les courroies de leur logement. Pour ça plusieurs méthodes : on peut desserrer les écrous des supports de poulie (trou oblong) et ainsi libérer la tension pour les retirer facilement. Sinon il y a la méthode ciseau, que tout bon flemmard adoptera sans vergognes, ce qui est partiellement mon cas. On coupe donc les courroies avec un gros ciseau ou un cutter. Tant que vous avez les références normalement c’est ok !

Second step: On achète les nouvelles courroies. Il faudra se rendre en boutique spécialisée, vous en trouverez dans les zones artisanales, ou vous pouvez en commander sur ce site par exemple. J’imagine toutefois qu’on peut facilement se tromper. En magasin on s’occupe de tout et vous pouvez demander des conseils, toujours pratique…  Vous devez donc venir avec vos références, marquées sur vos vieilles courroies. Si elles n’y sont pas prenez la courroie non coupée pour que le vendeur prenne la cote. Dans tous les cas essayez de venir avec vos vieilles courroies.

Une fois que vous avez vos nouvelles courroies, on va faire un coup de propre avant de les remonter. Une vérification de la chaine s’impose aussi.

Third step : Démontage des couronnes, pignons, poulies et la chaine. La suite consiste à tout démonter pour nettoyer la vieille graisse qui commence à sécher, et préparer le terrain pour un nouveau graissage. Pour la graisse, prenez en dans la même boutique que pour les courroies, c’est une graisse à roulement il me semble. On s’équipe donc d’une clé de 17, et on démonte tout en repérant bien l’emplacement des différents éléments. 

Ensuite je nettoie toutes les pièces au pétrole, comme pour les tables, j’y vais avec la brosse à dent, et au chiffon.

Je fais ensuite un bon coup de propre à la brosse métallique sur la surface plane où sont fixé les supports de poulie. En effet la rouille s’est immiscée jusque dans son intimité et ça a pour but de m’oxyder. On fait propre.

Nous allons profiter que la carcasse soit à nue pour la repeindre, nous reprendront le remontage après.

Peinture

Il est temps de rendre a cette vieille dame sa splendeur d’antan, et pour cela nous allons la repeindre avec cette bonne vieille Hammerite bien épaisse et qui s’applique directement sur la rouille si l’on en croit la boite. Pas le temps de vérifier ça, le mieux est de poncer grossièrement le bâti et toute autre partie peinte en vert afin de donner du mordant à la surface et de gommer la rouille et les différences de niveau. J’y vais donc à la ponceuse excentrique et à la main, au grain 120.

Je masque ensuite toutes les parties à protéger de la peinture au scotch de masquage, c’est important sinon on risque d’en mettre partout.

J’ai finalement passé 3 couches, le bas sera peint quand elle sera à sa place définitive.

Le Laurent a été peint en blanc pour le démarquer.

Remontage

Après inspection, la chaine est encore bonne. Le truc avec les chaines c’est le jeu qui se créer entre les maillons, s’il dépasse la valeur de tolérance la chaine risque de lâcher. Dans mon cas c’est encore bon donc je décide de ne pas la changer.

Je remonte cette dernière, qui a été nettoyée et re-graissée. Le système de tension est une sorte de “pignon tendeur” sur ressort qui a été bien bouffé en son alésage à force de tourner sur l’axe du bras qui le maintient, mais je ne peux pas le remplacer, je le laisse ainsi, on verra bien.

On remonte donc les pièces nettoyées, on viendra mettre la graisse plus tard. L’ordre de remontage change un peu de celui du démontage car il faut prévoir les courroies ! Certaines courroies du milieu doivent être installées en même temps que les poulies, car il serait alors impossible de les mettre une fois les supports remontés. Il y a un système de trou oblong dans ces derniers pour régler la tension des courroies. On pourra s’y attarder une fois tout remonté, pour bien tendre l’ensemble. 

Nettoyage des graisseurs

Il faut maintenant se débarrasser de la vieille graisse présente dans des petits graisseurs en laiton disposés un peu partout sur la machine. Une douzaine à peu près.  C’est donc trempette dans bain de pétrole pour ramollir le tout. Lors du nettoyage des axes de poulie, il faudra bien penser à récurer toute la graisse qui se trouve dans les conduits prévue pour le graissage, sinon la nouvelle graisse ne pourra tout simplement pas se frayer son chemin jusqu’aux paliers.

 Graissage

Maintenant que le passage est libre, il faut injecter de la nouvelle graisse qui est pour roulement si j’ai bien compris (viscosité ?). Il va donc falloir se munir d’une pompe à graisse. Pour ces graisseurs, il faut une agrafe un peu spéciale trouvable dans la même boutique que les courroies. On pompe donc quelques fois, personnellement j’ai attendu de voir la graisser “gerber” aux extrémités pour arrêter de pomper. Au moins on est sûr qu’elle est arrivée à destination. J’imagine que ce n’est pas la meilleure des manières.

Quelques photos supplémentaires

Restauration terminée

La voici rafraichie et prête à tourner pour un bon nombre d’année encore. En attendant d’avoir le triphasé et de pouvoir la tester elle dort dans un coin de l’atelier…

Merci d’avoir suivi cette restauration et à la prochaine !

Voici la bécane dans son nouvel atelier :